FRANÇOIS GAUTHIER, PROFESSEUR À L'UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL, S’ENTRETIENT AVEC GUY ROUQUET, SUR LE CHAMANISME CONTEMPORAIN
Guy Rouquet.- Vous enseignez comme professeur régulier à l’Université du Québec à Montréal au sein du Département de science des religions. A ce titre, vous avez publié en 2009 un article intitulé «Du bon usage des drogues en religion. Consommations néo-chamaniques à Burning Man» (1). Bien que votre étude n’ait pas la prétention d’être exhaustive, elle a retenu mon attention par la problématique soulevée et, plus encore, par son approche du phénomène. En effet, il se trouve que, dès sa création en 2001, Psychothérapie Vigilance a été confrontée aux méthodes et pratiques de thérapeutes utilisant des hallucinogènes exotiques et ésotériques dans le cadre de «voyages initiatiques» et de «séminaires d’évolution personnelle» organisés, avec le concours de chamans, par des associations ou organisations œuvrant en réseau au plan international. Méthodes et pratiques qui ont conduit mon association à s’interroger sur la nature et l’origine des drogues et psychotechniques mises en œuvre et, après avoir constaté les abus commis par nombre de ces opérateurs, à tirer la sonnette d’alarme. Votre article s’inscrit dans une perspective autre, un travail universitaire, une démarche scientifique ayant pour objet «d’engager une discussion sociologique et historique sur le néo-chamanisme» afin de permettre une compréhension de la dimension religieuse des usages contemporains de psychotropes en Occident, de la consommation ritualisée de ces substances dans «certains milieux sous-culturels», dont le festival annuel de Burning Man aux États-Unis (État du Nevada), est la manifestation festive phare. Votre propos n’est pas de dénoncer ces pratiques mais de «rendre compte de leur religiosité et de leur unité fonctionnelle au-delà de leur division entre pratiques festives ou à visée explicitement spirituelle». Dès lors, même si votre dessein est nécessairement différent de celui de mon association, je vous remercie d’avoir accepté d’engager la discussion avec moi, en partant du principe que le lecteur connaît peu ou très mal le sujet. Aussi me semble-t-il important que notre échange s’applique à tracer un itinéraire et, en premier lieu, à définir précisément quelques termes tout en les mettant en perspective. En effet, étant donné la direction que prendra notre entretien en raison du thème dévoilé par le titre de votre article, on ne peut faire l’économie de cette première question, à facettes multiples: le chamanisme est-il une notion intellectuelle ou une réalité? Pour ma part, en m’inspirant de la réflexion de Saint-Just à propos du bonheur, je serais enclin à dire que le chamanisme est une idée neuve en Occident, et à émettre l’hypothèse que le succès grandissant de l’expression repose sur un malentendu, en raison notamment de la confusion entretenue par certains, pour des raisons idéologiques ou commerciales, avec le néo-chamanisme. En outre, ce dernier semble davantage le père du chamanisme que le contraire. Et le public de ne plus s’y retrouver parmi la diversité des offres qui lui sont faites pour rencontrer un chaman, un vrai chaman, un indigène ou un euro-américain se disant «initié». C’est pourquoi un premier éclairage me semble indispensable.
François Gauthier.- Saint-Just avait raison! Ce que vous suggérez à propos du chamanisme est certainement vrai, au moins en un sens. L’intérêt croissant aujourd’hui pour «le chamanisme» et tout ce qu’on lui associe, telle que la consommation de psychotropes comme l’ayahuasca, participe lui-même d’une mouvance qualifiable de «néo-chamanique». Autrement dit, le «chamanisme» est perçu à travers la lorgnette du néo-chamanisme aujourd’hui. On doit d’abord préciser de quoi nous parlons. Le chamanisme a été abondamment étudié par l’ethnologie et l’anthropologie et consiste en un système culturel de pratiques et de croyances particulières, comme celui des Evenks sur lesquels a travaillé notamment Roberte Hamayon. (...)
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