[ ] - ETHNOTOXICOLOGIE DE l’AYAHUASCA (Laurent Rivier)




ETHNOTOXICOLOGIE DE L’AYAHUASCA                


ccCTA et SFTA, 19-22 Juin 2002

Laurent RIVIER
Laurent Rivier Scientific Consulting
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CH – 1003 Lausanne, Suisse
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Une décoction hallucinogène, appelé Yage ou Yaje, en Colombie, Caapi au Brésil et Ayahuasca en Équateur et au Pérou, est régulièrement utilisée par de nombreuses tribus indigènes depuis des siècles. Elle est confectionnée principalement à partir du tronc d’une plante grimpante Banisteriopsis Caapi. Les sections de cette liane sont bouillies avec les parties aériennes d’autres plantes (telles que mais pas limitées à Psychotria viridis ou Diplopterys cabrerana). Cette boisson très amère  contient  des alcaloïdes hallucinogènes puissants de type béta-carboline tels que l’harmine, l'harmaline, et surtout la d-tetrahydroharmine, accompagnés le plus souvent par la N,N-dimethyltryptamine (DMT). L’absorption de 2 à 3 dL de cette préparation provoque après 20 à 30 min environ l’apparition de visions colorées comparables à celles obtenues avec la mescaline, la psilocybine ou le LSD. Le temps d’action de la drogue qui peut durer de 2 à 6 heures, dépend de la nature du mélange des béta-carbolines et de l’action synergique qui se développe entre la DMT et ces dernières.

De telles préparations hallucinogènes - beaucoup d’entre elles ayant en plus une action émétique, purgative ou cathartique et facilitant l’induction de rêves - sont utilisées traditionnellement  pour accéder à des états de conscience que les indigènes croient favorables pour effectuer un voyage dans le monde des esprits. Les médecins-sorciers ou shaman en sont les spécialistes après un apprentissage long et difficile. Découvertes au début du 20ème siècle, des manifestations similaires à la consommation de l’Ayahuasca sont encore observables dans d’autres parties du monde. L’usage du peyote (Lophophora williamsii) chez certaines tribus du Nord-Ouest du Mexique et l’emploi traditionnel de la racine d’iboga (Tabernanthe iboga) dans le centre de l’Afrique de l’Ouest en sont les exemples les plus typiques. Echappant à la tradition indigène, des « églises » - basées sur la consommation rituelle d’Ayahuasca sont nées au Brésil à partir de 1930 avec l'afflux de colons dans le basin de l'Amazone. En dépit de différences, toutes ces pratiques partagent des ressemblances qui dérivent de la nature intégrative de l’action de l’Ayahuasca elle-même.

Les alcaloïdes de l’Ayahuasca sont généralement considérés comme des stupéfiants selon la loi. Suivant les pays, les plantes et la préparation elle-même ne le sont pas systématiquement. Comme l'usage de l'Ayahuasca s’étend rapidement en dehors du Brésil, cette nouvelle « consommation sauvage » représente des risques liés de la prohibition. Ces dernières années des « églises » en Europe et aux Etats-Unis ont subi plusieurs saisies et arrestations. Beaucoup de cas sont en suspens devant les tribunaux, pourtant une décision le 21 mai 2001 de la cour hollandaise a acquitté les adeptes d’une de ces églises en invoquant le droit constitutionnel à la  liberté de religion.

Certains pseudo-scientifiques se sont emparés de la question pour y apporter une « diversification légale » par la sélection de plantes plus facilement accessibles. Certaines échoppes appartenant à la culture alternative proposent généralement par Internet, soit la drogue elle-même, soit les ingrédients de base pour confectionner soi-même le breuvage. Diverses recettes sont proposées. Une adresse de forum réunit les internautes qui peuvent confronter leurs expériences. Actuellement, on constate une tendance à utiliser tout et n’importe quelle plante psychotrope, peu importe sa toxicité de base. Un projet de traitement de toxicomanes péruviens se propose d’utiliser comme traitement curatif non seulement l’Ayahuasca, mais aussi toute une panoplie de plantes réputées “dépuratives” dont certaines sont reconnues comme hautement toxiques. L’introduction de ce type de pratiques en dehors de son cadre traditionnel fait craindre les manipulations et les fraudes. Les centres anti-poisons et les laboratoires de toxicologie doivent être avertis de l’existence de ce nouveau phénomène au cas où ils seraient amenés à être confrontés un jour à des accidents éventuels résultant de ces dérives.