DROGUE ET EMPRISE MENTALE
par Christian BONNET
(ayahuasca, iboga, datura… chamanisme, néo-chamanisme)
Dans son rapport 2005, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, en dressant le bilan des travaux des cellules départementales de vigilance, mettait l’accent sur le développement de la mouvance New Age utilisant des pratiques guérisseuses d’épanouissement personnel parfois fondées sur le chamanisme et le néo-chamanisme.
Au plan international, on note un regain d’intérêt pour ces pratiques. Sur le plan national, la collecte des renseignements sur cette problématique amenait la Miviludes à indiquer qu’une vigilance sérieuse devait être pratiquée à l’égard d’un certain nombre de mouvements et plus particulièrement ceux qui étaient en forte opposition avec la médecine traditionnelle. Cette alerte est étayée également par des analyses départementales. En France, de nombreux stages sont proposés sous le thème général du « mieux-être ». Ces stages attirent de plus en plus de personnes malgré des prix très élevés.
Durant des périodes s’étendant, en général, sur une semaine, sont proposées des pratiques transposées du chamanisme sud-américain, dans un premier temps, puis du chamanisme africain, dans un second temps. Elles promettent aux participants mieux-être, désintoxication de l’alcool, du tabac, des drogues de toutes sortes, incluant les drogues dites dures. Aucun contrôle médical et psychologique n’est prévu pendant ces retraites. Bien que les méthodes utilisées pour exercer une emprise sur les personnes soient le plus souvent fondées sur l’absence de sommeil, le jeûne, la répétition gestuelle ou la psalmodie, et bien que toutes les techniques soient destinées à placer le sujet dans un état de faiblesse et une position infantile de nature à faciliter l’effacement de la personnalité, donc, le sens critique et la raison, curieusement, certaines drogues sont aussi utilisées pour accroître l’effet de la pseudo-doctrine.
L’ayahuasca et l’iboga
Les substances les plus couramment utilisées lors des stages, avant leur classement sur la liste des stupéfiants, étaient les suivantes :
- l’ayahuasca, une décoction de plantes originaires d’Amérique du Sud, classée sur la liste des stupéfiants le 20 avril 2005, par arrêté du ministre de la Santé ;
- l’iboga, classée sur la liste des stupéfiants le 25 mars 2007 par arrêté du ministre de la Santé, suite à la publication du rapport 2006 de la Miviludes.
Les apprentis sorciers locaux ou occidentaux ont créé un véritable marché qui, par les profits accumulés, a amené l’émergence de plusieurs centres « chamaniques » sur notre territoire, parfois suivis de voyages, le plus souvent au Pérou, pour pratiquer in situ les mêmes techniques.
De nombreux témoignages de familles mettent l’accent sur les modifications du comportement de proches à la suite de ce type de pratique et après utilisation d’ayahuasca ou d’iboga : coupure avec le milieu familial, abandon des projets de vie initiaux, abandon d’emplois, demande d’argent aux familles pour participer à d’autres stages, etc. Les organisateurs de ce type de « commerce », pour s’adapter à la législation et à la très grande réactivité des services de l’État, ont été contraints de renoncer, en apparence, aux substances classées au tableau B, donc désormais interdites, mais ont su s’adapter à ce nouveau contexte en recherchant des produits de substitution. Une nouvelle plante, très commune, est maintenant utilisée : le datura. Préconisée depuis l’Antiquité dans les rites sorciers, elle ne fait l’objet d’aucune législation précise. Elle présente des propriétés hallucinogènes. Elle est l’objet d’un véritable phénomène de mode dont la promotion est assurée via des sites Internet, promouvant les thèses chamaniques, le retour aux croyances anciennes comme le druidisme, la mythologie grecque, latine, etc. L’étude pharmacologique de cette plante indique qu’elle peut provoquer des délires hallucinatoires de plusieurs heures, et qu’elle est fortement vénéneuse. Des grands dangers physiques, des séquelles psychologiques graves peuvent découler de son utilisation.
Une prévention nécessaire
Au cours des quatre dernières années, la Gendarmerie nationale a été amenée à traiter un certain nombre d’affaires judiciaires concernant le chamanisme, allant du simple trouble à l’ordre public à l’enquête décès. Certaines de ces affaires font actuellement encore l’objet d’informations judiciaires. Une mise en garde redoublée sur ces phénomènes de mode est donc nécessaire. C’est ce à quoi s’emploie la Miviludes. Les formations que cette mission dispense aux membres des forces de l’ordre, dans le cadre de ses activités, abordent cet aspect du chamanisme à « l’occidentale », notamment sur les réelles motivations des chamans autoproclamés, leur capacité à s’adapter aux divers changements de notre législation, et sur les dangers encourus par la pratique de certains rituels faisant appel à l’utilisation de produits exotiques peu ou mal connus. Plusieurs décès d’utilisateurs ont été signalés en France et à l’étranger.
Seule la prévention et l’information du grand public ainsi que la formation des acteurs de l’État pourront enrayer une évolution de ce phénomène qui, pour le moment, enregistre une progression inquiétante.
* Christian BONNET est conseiller à la Miviludes (Mission interministérielle de Vigilance et de Lutte contre les Dérives Sectaires: http://www.miviludes.gouv.fr/ )
« Drogue et emprise mentale» est publié à la page 72 des Cahiers de la sécurité – n°5 – juillet-septembre 2008. Il est reproduit intégralement avec l’aimable autorisation du Directeur de l’Institut national des hautes études de sécurité (INHES:http://www.inhes.interieur.gouv.fr). Le sous-titre entre parenthèses est de Psychothérapie Vigilance.
Pour accéder au PDF: http://www.psyvig.com//doc/doc_116.pdf |