Par Paul SUGY
FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - Selon le philosophe Benoît Heilbrunn, le bien-être a été substitué au bonheur et prévaut désormais comme un impératif absolu. Devenu un objectif de marketing, il est au cœur d'une idéologie qui promeut la recherche du confort sensoriel et endort ainsi peu à peu la liberté des individus.
Benoît Heilbrunn est philosophe et professeur de marketing à l'ESCP Europe. Auteur de plusieurs ouvrages sur le marketing, il vient de publier L'Obsession du bien-être(Robert Laffont, février 2019).
FIGAROVOX.- «Le bonheur», écrivez-vous, «est une des promesses non tenues de la modernité». Pourquoi?
Benoît HEILBRUNN.- La modernité s'appuie sur des grands récits qui sont notamment le progrès, la liberté et le bonheur. La plupart des hommes des Lumières - et notamment Condorcet - sont en effet convaincus que le progrès technique est synonyme de progrès moral et que l'homme est capable en comprenant les ressorts du bonheur de vivre plus heureux. Il n'y a d'ailleurs pas de siècle qui ne se soit plus intéressé à la question du bonheur que celui des Lumières. Pour les hommes du XVIIIe siècle, il existe un lien évident, intime entre la liberté et le bonheur. Non seulement la liberté est le fondement d'un nouveau projet politique émancipateur, mais elle est aussi le maillon essentiel d'un contrat qui va structurer la société de consommation et qui postule que le libre choix est la condition sine qua non du bonheur ; c'est d'ailleurs pourquoi certains, assimilant la société au marché, ont fait du marketing (synonyme du libre choix des marchandises) un garant de la démocratie.
Nous ne sommes pas plus heureux que nos ancêtres, alors que nous disposons de plus de temps libre, de davantage de loisirs et d'une espérance de vie plus élevée.
Mais force est de constater que la modernité n'a (...)
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